Faire dessiner la société à des lycéens

 

Sur une idée de mes collègues Christophe Foraison puis Thierry Rogel

 

Dispositif pédagogique en début d'année de première (octobre 2010). Préalable au cours sur la stratification sociale en classe de première ES (34 élèves de 16 ans dont la moitié n'avaient pas fait de SES en seconde).

Consigne  : 15 minutes, sur une feuille, dessinez la société française actuelle telle que vous vous la représentez. Puis échange des dessins entre élèves, chaque élève doit rédiger un court § analysant le dessin d'un camarade. L'enseignant donne alors des critères d'analyse : degré de cohésion, de conflit, d'inégalité, quels sont les institutions, groupes en présence…)

Contexte particulier  : mobilisation contre la réforme des retraites assez médiatisée, beaucoup de manifestations auxquelles se joignent certains élèves de la classe, grèves à répétition des professeurs. Lycée de centre ville, classe relativement homogène socialement (PI et CPIS surtout, peu d'enfants d'indépendants ou professions libérales).

Objectifs  :

- Faire apparaître les représentations « spontanées » des élèves sur ce qu'est la société française pour eux, comment ils se la représentent, comment ils la perçoivent.

- Inviter les élèves à se poser une question nouvelle, qu'est-ce qu'une société, question fondatrice de la sociologie, donc les mettre dans les pas des pères de la sociologie.

- Inviter les élèves à repérer dans le dessin d'un camarade les représentations d'autrui et s'efforcer de les caractériser (degré de conflit, degré d'inégalité, degré de cohésion, d'ordre, degré de justice, quelles institutions/groupes en présences…)

- Construire un étalon à partir duquel élèves et professeur pourront à l'issu du cours mesurer les nouveaux acquis, l'enrichissement des représentations.

- Susciter l'appétit (curiosité, intérêt) des élèves avant de faire un cours relativement magistral où le professeur va présenter pas moins de 5 théorisations de la société : Marx, Weber, Warner, Mendras et Bourdieu. L'idée étant de donner envie aux élèves de découvrir quelles réponses les grands sociologues ont donné à la question qui vient de leur être posée et sur laquelle ils ont dû faire un effort de « conscientisation » par le dessin.

 

I) Ce qui ressort des dessins avant le cours (octobre 2010) :

•  Société plutôt désordonnée, mal ou peu structurée où les individus sont d'anonymes identiques et atomisés (sans sexe, sans âge ; seule une élève a dessiné des individus aux cheveux frisés et à la peau foncée et des « blancs ») Les individus sont comme des clones en apesanteur ou en troupeau. (Camille 1, Eléa 1, Jean-François 1)

•  Pas d'institutions ou de groupes sociaux (sauf deux dessins Paul 1-gouvernement et Jessica 1-manifestants)

•  Société désespérée (no futur, la mort, hommes sous terre), en déclin (chute, précipice) (Eléa 1 et Marine 1)

•  Société clivée de façon binaire : les « riches » et les « pauvres », la droite/la gauche (Paul 1 et Léana 1)

•  Le pouvoir politique est personnifié (Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal) et coupé du peuple (sourd) (Camille 1, Paul 1, Léana 1)

•  Le pouvoir politique opprime les « pauvres » (il les mange même) au bénéfice des « riches », il n'est jamais le garant de l'intérêt général. (Paul 1, Camille 1)

•  Le pouvoir politique manipule (aimant, canne à pêche) (Jean-François 1 et Jessica 1)

•  L'argent est le moteur principal de la société (Jessica 1, Eléa 1, Mélanie 1)

 

Ce qui ressort des dessins après le cours (en février 2011) :

•  Apparition de groupes sociaux nommés (PCS, strates, classes populaires/moyennes/supérieures/dominantes) (Nawel2, Jessica2, Corentin2, Eléa2)

 

•  Apparition d'institutions (gouvernement, banque centrale, marchés financiers, entreprises) (Corentin2, Nawel2, Camille2 et Paul2)

•  Les classes supérieures/dominantes ne le sont plus que du fait de l'argent mais aussi de leur capital culturel (Nawel2, Eléa2)

•  Dessins beaucoup plus denses et structurés (complexité) : toupie de la moyennisation, échelle des inégalités, hiérarchie sociale (Corentin2, Nawel2, Zahra2, Jessica2)

•  Intrication des « questions économiques » et des « conséquences sociales » (Nawel2 – 2 nuages en haut, Jessica2 – délinquance fantôme, délocalisation, chômage, spéculation)

•  Apparition d'une dynamique des sociétés (moyennisation/polarisation) (Zahra2, Jessica2 -aspirateur, Nawel2 –papillon ascension)

•  L'argent (symbole € ou $) reste omniprésent

•  L'idée de clivage « riches/pauvres » demeure

•  Dessins relativement pessimistes où les groupes sociaux sont peu ou pas agissants, ils subissent ou profitent.

 

Conclusion :

- La capacité à penser la société n'est pas spontanée, elle s'apprend, elle peut s'apprendre en SES, en histoire en Lettres, en philosophie au lycée.

- Cette capacité semble primordiale dans la construction de la citoyenneté des élèves, apprendre à se situer dans la société, appréhender les mécanismes à l'origine de sa position actuelle/future, penser le monde comme complexe mais organisé/structuré.

- Cet apprentissage prend du temps, s'élabore progressivement, il faut donc des programmes non encyclopédiques qui laissent le temps d'appropriation aux élèves ; et des programmes emboîtés (spiralaires) il faut commencer dès la seconde et jusqu'à la terminale. Par exemple en seconde , la socialisation sexuée, les aspects sociologiques de la consommation, l'homogamie sociale, découverte des PCS (uniquement 8 catégories). En première , strates, classes, construction multidimensionnelle des PCS, capital culturel, polarisation/moyennisation et en terminale le système des inégalités, la mobilité sociale, conflits et action collectives… (voir intervention d'Erwan Le Nader au Colloque Classes sociales)

- Certaines critiques par des collègues sociologues des programmes actuels de SES disent qu'ils seraient trop orientés sur la vieille sociologie , trop déterministes et pas assez individualistes ou interactionnistes , trop pessimistes (compassionnels) et pas assez « ludiques » . Question : Par quoi faut-il commencer en initiation à la sociologie (en termes de pertinence pédagogique, scientifique et citoyenne) ? Peut-on ne pas emprunter le parcours de la sociologie elle-même qui a d'abord été holiste et plutôt déterministe pour ensuite, s'affiner, se complexifier ?

Rappel plan de cours :

I)  La représentation de la structure sociale… objet de luttes ?

•  Qu'est-ce que « la société » ?

•  Marx, Weber et les autres…

II)  Les P.C.S. sont-elles des groupes statistiques pertinents ?

•  Comment est construite la nomenclature I.N.S.E.E. des P.C.S. ?

•  A quoi sert la nomenclature des P.C.S. ?

•  Quelle est la robustesse de l'outil P.C.S. ?

Notions que vous devrez connaître et savoir utiliser à la fin de ce chapitre

Notion à connaître et utiliser (notions programme officielles)

Autres notions importantes (ajoutées par le professeur)

Stratification sociale

Groupe social

Professions & Catégories socioprofessionnelles (P.C.S.)

Rapports sociaux

Hiérarchie

Domination

Classes sociales

Holisme

Individualisme méthodologique

La notion de « capital » chez Bourdieu (capital culturel notamment)

Strates

Conflits d'intérêts

Homogénéité / hétérogénéité sociale

Reproduction sociale

Approche nominaliste versus réaliste

Moyennisation/polarisation