Dossier : Les raisons du maintien des inégalités du partage sexué du travail, Secondes, Kléber, 2004-05

DOCUMENT 1 : Une différenciation sexuelle très précoce

Tous les comportements de l'enfant sont, dès son plus jeune age, « lus » et interprétés différemment selon son sexe, par les adultes […]. Par exemple, les pleurs d'un nourrisson sont interprétés en termes de colère si le bébé est présenté comme un garçon, en termes de peur s'il est présenté comme une fille ; ou encore, devant des bébés comparables, on emploiera plus souvent le qualificatif de « grand » si le bébé est un garçon, de « mignonne » s'il s'agit d'une fille. Sans s'en rendre compte, les mères se comportent différemment, notamment dans les jouets qu'elles proposent, mais aussi dans leurs interactions verbales : on parle plus, on reprend plus les bruits émis par l'enfant, quand il s'agit d'une fille. Il semble donc que l'on stimule leur comportement social davantage que chez les garçons. Par contre, ces derniers sont plus stimulés sur le plan moteur : on les manipule avec plus de vigueur, on les aide à s'asseoir, à marcher, plus que quand il s'agit d'une fille […]. Les stéréotypes liés au sexe masculin ou féminin, « ce qui se sait », quand on est un homme ou une femme vont donc être partagés par les enfants dès leur plus jeune âge. Quand on demande, par exemple, à des enfants de 3-4 ans de choisir, sur des photos ou parmi des objets réels, des jouets (ou des activités) propres à leur sexe, ils expriment dès cet age des préférences conformes à leur sexe.

Marie Duru-Bellat, l'école des filles, L'Harmattan, 1990.

 
DOCUMENT 2 : Le Père Noël, ce vieux sexiste

Source : Serge Chaumier, Libération Le lundi 10 decembre 2001

[…] Outre l'apparition d'une rubrique Harry Potter, nouveauté de l'année, les changements ne vont guère au-delà. Plus modernes, plus techniques dans leur conception, plus en prises avec la société de consommation et de communication, les jouets évoluent, mais la frontière entre les sexes demeure imperméable. Tous les catalogues étudiés (une cinquantaine environ) obéissent à une structure sexiste qui divise l'univers en plusieurs domaines, dont certains sont réservés. […] A l'intérieur de chaque rubrique réservée explicitement à chaque sexe, pas de surprises, les ségrégations relatent les stéréotypes. Les couleurs, les jeux proposés, le nombre de personnages, leurs mises en scène diffèrent. Bref, des idées sur les hommes et sur les femmes et sur leurs rôles respectifs, «une vision du monde» au sens de Lukacs, s'y expriment.

Aux petites filles, la séduction, les rêves de princesse, de fées et de mariage, puis la maternité, avec ses obligations, enfin les tâches domestiques et ménagères. Ceci répond à un déroulement cohérent, à une mise en ordre, avec une progression attendue. Aux petits garçons, tout le reste. C'est-à-dire l'univers, et plus prosaïquement l'espace public, monde professionnel, technique et matériel, règne de l'imaginaire et de la science-fiction, des sciences, des loisirs, des sports et des arts. Préoccupations sérieuses et diverses qui vont de l'informatique aux transports, des conquêtes spatiales aux conflits guerriers et des aventures extraordinaires aux exploits fantastiques. La fabrication du mâle continue de répondre à des critères traditionnels, et si les domaines d'investigation s'élargissent, l'action et les responsabilités lui incombent. Le monde féminin, lui, demeure celui de l'espace privé, de la passivité, lié à la fonction d'aimer, d'un amour maternel et romantique.

L'imaginaire des petites filles est centré sur la nécessité d'avoir le sens de l'organisation, et d'être préoccupé par leurs corps (séduction, soin, maternité), bref d'être de petites femmes séductrices, puis des petites mamans, enfin de bonnes ménagères. Inutile de préciser que tout ce qui a rapport à la cuisine, au ménage, et aux enfants leur est d'emblée réservé. Les poupons parlent et réclament non seulement à boire et à manger, mais surtout maman... […] La petite fille doit apprendre très jeune à jouer à être une maman parfaite. Elles sont invitées à passer du jeu et du mimétisme, de l'identification avec leur mère à l'aide qu'elle leur apporte, puis à leur remplacement, au jeu «pour de vrai». Tout l'ensemble nécessaire pour apprendre à changer bébé se trouve dans le coffret couffin: layette, cagoule, brosse, biberon, lait de toilette, couche, etc. Si bébé prend froid, il faut le soigner, occasion là encore de socialiser très tôt aux gestes essentiels.

Il est stupéfiant d'observer le réalisme des jouets pour petite fille. Les dînettes, les jeux de marchande, comme les coffrets pour la séduction sont de la plus grande précision. Comme pour de vraies poussettes, et de vrais robots électroménagers, les descriptions de jouets sont des copies des objets adultes. L'aspect pratique doit être un souci intégré dès le plus jeune âge. Il est vrai que le landau et la poussette sont proposés dès 18 mois! La notice de l'aspirateur précise qu'il est une parfaite réplique, et qu'il aspire réellement. Comme le vrai, il purifie l'air et dégage une odeur parfumée. Longueur des tuyaux et tubes adaptée à la taille des enfants. En effet, il est disponible dès 3 ans! Il en est de même pour les autres domaines de la vie domestique et familiale. Plus que cela, les petites filles sont souvent interchangeables avec les poupées qu'on leur propose, comme le mettent en scène certaines photographies. Comme des sœurs, elles semblent équivalentes. Citons ce commentaire de Rousseau: «Elle est tout entière dans sa poupée, elle y met toute sa coquetterie. Elle ne l'y laissera pas toujours, elle attend d'être sa poupée elle-même.»

On pourrait montrer à l'inverse comment l'identité de l'homme est également fabriquée, avec d'autres valeurs: de compétition, de rivalité, de domination, de violence, d'exclusion, de machisme. Mais les jouets masculins laissent beaucoup plus de place pour la réappropriation et l'interprétation personnalisée, le développement d'un imaginaire.

Femme passive/homme actif, les normes ont finalement peu changé, malgré ce que prétend faire croire le discours de sens commun. Les rôles réservés aux femmes se limitent toujours à ceux de princesse, d'épouse puis, suite logique des choses, de mère. Il y a ainsi lente progression, alors que le règne masculin est davantage fait de ruptures entre le jeu et les rôles sociaux réels. Les rares métiers féminins esquissés sont en lien avec la fonction maternelle. A l'heure où les femmes ont investi massivement le monde du travail, il est curieux que les catalogues de jouets reflètent si peu les évolutions sociales.[…]

DOCUMENT 3

Manuels scolaires, littérature : la vision du travail présentée aux enfants reste très sexuée et à dominante masculine.
C'est en 1997 que sort un rapport rédigé par la députée RPR Simone Rignault et le sénateur centriste Philippe Richert sur la représentation des hommes et des femmes dans les livres scolaires. En passant au crible les manuels de la maternelle au lycée, les deux auteurs dressent un constat alarmant : les auteurs de référence des ouvrages scolaires sont majoritairement des hommes, comme le sont 90 % des héros des histoires narrées aux élèves. Cinq ans après ce rapport, l'Education nationale n'a toujours pas rectifié le tir. Des commissions se sont succédé sur le dossier «sexisme et stéréotypes», suivies d'un chapelet de préconisations et de la signature, en février 2000, d'une convention pour l'égalité fille-garçon en milieu scolaire. […]

Par Muriel GREMILLET, Nadya CHARVET, Libération, lundi 17 décembre 2001.

DOCUMENT 3 BIS : Extraits du rapport parlementaire : Rapport au Premier ministre

La représentation des hommes et des femmes dans les livres scolaires

Simone Rignault, Philippe Richert.

[…] Les femmes apparaissent moins souvent que les hommes

Un déséquilibre numérique

La mission a étudié plusieurs livres dans toutes les matières. Presque toujours, les filles et les femmes apparaissent moins souvent que les hommes. Sont-elles effectivement moins nombreuses ? En 1993, selon l'INSEE (état civil et recensement de la population) les femmes représentaient 51,3 % de la population totale en France. L étude d'un livre de français de CM2 (1992), comportant 43 textes littéraires, 16 poésies et 36 ensembles documentaires, illustre cette absence des femmes. L'étude a consisté à identifier le héros des 43 textes présentés. Lorsque le héros est unique et le scénario centré sur un seul personnage, le héros masculin apparaît 16 fois contre 3 fois pour le héros féminin. S'il y a 2 héros, 10 fois ce sont deux personnages masculins et 1 fois seulement un garçon et une fille, pas une seule fois deux femmes, ou deux filles. Lorsque les héros sont multiples, la mère ou l'épouse sont citées 3 fois seulement.[…]

Le stéréotype classique de la « femme aux fourneaux »

Alors que la participation des femmes à la vie économique s'est considérablement accrue au cours des dernières décennies, les femmes dans les manuels scolaires apparaissent très souvent liées à un territoire unique, la maison. Les femmes sont cantonnées à l'intérieur, dans le milieu familial, reprenant le partage des tâches que l'on trouvait dans la société d'avant-guerre. Cela accrédite l'idée que leur parcours professionnel est mineur par rapport au rôle qu'elles doivent nécessairement jouer à l'intérieur de la famille. Il est vrai que, dans la réalité, le partage des tâches familiale et domestique évolue très lentement et que les rôles traditionnels ont tendance à perdurer. Environ 40 % des hommes reconnaissent n'accomplir aucune tâche domestique.

Dans un ouvrage parascolaire, dans le premier niveau – anglais 6 e - les tableaux de vocabulaire montrent des scènes de la vie courante, la mère fait les courses au supermarché, de même que la grand-mère, pendant qu'une jeune caissière enregistre les différents achats. Les stéréotypes se rencontrent dans les livres dans toutes les matières, en langues, comme en mathématiques ou en histoire. La répartition des tâches entre les hommes et les femmes se perçoit dans les énoncés des problèmes de mathématiques. «Pour s'équiper en outillage M. Duchemin a fait l'achat d'une perceuse à 415,70 F et d'une scie à 188,90 F. Pour le repas, M me Duchemin a acheté un rôti de veau à 59 F et un camembert à 11,60 F. Mme Duchemin envoie Christine chez le boulanger pour acheter une ba guette ... »[…]

Lorsque les femmes apparaissent, les qualités et les activités qui leur sont attribuées diffèrent considérablement de celles des hommes

[…] Cette grande catégorisation attribuée aux hommes et aux femmes est dans tous les esprits. Elle constitue la base des stéréotypes de sexe, c'est à dire l'ensemble des traits de personnalité censés caractériser les membres d'un groupe d'un même sexe. On la retrouve déclinée dans les dictionnaires et les ouvrages.

* Dans un dictionnaire, au mot bien : elle est bien, elle est belle ; Un homme bien est un homme estimable (= sérieux).

Beaucoup de stéréotypes sexistes se trouvent concentrés dans cet exemple. L'homme est sérieux et estimable, il occupe une place reconnue dans l'organisation sociale où il agit, la femme est belle, elle décore, elle est un enchantement des yeux et ne doit pas se tourner vers des activités austères (les mathématiques par exemple) sous peine de perdre sa joie et sa beauté. De la classification, on passe insensiblement à une hiérarchisation des sexes, avec des caractéristiques négatives attribuées aux femmes. À côté de la femme-fleur, on retrouve la mégère, la sorcière et dans certains ouvrages, la furie.[…]

* Exemple pris dans un autre dictionnaire (opus cité) pour illustrer le mot Bain : le président prend un bain de foule, Jeanne prend un bain de soleil. Dans cet exemple caricatural, la ligne de démarcation est nettement tracée, les femmes apparaîtront dans des activités qui incitent au jeu, aux loisirs, et les hommes dans des rôles plus austères et occupant des postes de responsabilités et de pouvoir.[…]

 

DOCUMENT 4 : Images féminines et masculines

Si l'on compare les images féminines de la littérature enfantine contemporaine avec celles des légendes traditionnelles, on s'aperçoit que bien peu de choses ont changé. Les vieilles légendes nous offrent des femmes douces, passives, muettes, seulement préoccupées par leur beauté, vraiment incapables et bonnes à rien. En revanche, les figures masculines sont actives, fortes, courageuses, loyales, intelligentes. Aujourd'hui, on ne raconte presque plus de légendes aux enfants, elles sont remplacées par la télévision et les histoires inventées à leur intention, mais certaines parmi les plus connues ont survécu et sont connues de tout le monde.

Le petit chaperon rouge est l'histoire d'une fillette à la limite de la débilité mentale, qui est envoyée par une mère irresponsable à travers des bois profonds infestés de loups, pour apporter à sa grand-mère malade de petits paniers bourrées de galettes. Avec de telles déterminations, sa fin ne surprend guère. Mais tant d'étourderie, qu'on n'aurait jamais pu attribuer à un garçon, repose entièrement sur la certitude qu'il y a toujours à l'endroit et au moment voulus un chasseur courageux et efficace prêt à sauver du loup la grand-mère et la petite fille.

Blanche-neige est une autre petite oie blanche qui accepte la première pomme venue, alors qu'on l'avait sévèrement mise en garde de ne se fier à personne. Lorsque les sept nains acceptent de lui donner l'hospitalité, les rôles se remettent en place : eux iront travailler, et elle tiendra pour eux la maison, reprisera, balaiera, cuisinera en attendant leur retour. Elle aussi vit comme l'autruche, la tête dans le sable, la seule qualité qu'on lui reconnaisse est la beauté, mais puisque ce caractère est un don de la nature, et non un effet de la volonté individuelle, il ne lui fait nullement honneur. Elle réussit toujours à se mettre dans des situations impossibles, et pour l'en tirer, comme toujours, il faut l'intervention d'un homme, le prince charmant, qui l'épousera fatalement.

Cendrillon est le prototype des vertus domestiques, de l'humilité, de la patience, de la servilité, du sous-développement de la conscience, elle n'est pas très différente des types féminins décrits dans les livres de lecture aujourd'hui en usage dans les classes primaires et dans la littérature enfantine en général. Elle non plus ne bouge pas le petit doigt pour sortir d'une situation intolérable, elle ravale les humiliations et les vexations, elle est sans dignité ni courage. Elle aussi accepte que ce soit un homme qui la sauve, c'est son unique recours, mais rien ne dit que ce dernier la traitera mieux qu'elle ne l'était jusqu'alors.

Les personnages féminins des légendes appartiennent à deux catégories fondamentales : les bonnes et incapables et les malveillantes. « On a calculé que dans les contes de Grimm 80% des personnages négatifs sont des femmes. »

Pour autant qu'on prenne la peine de le chercher, il n'existe pas de personnage féminin intelligent, courageux, actifs et loyal. Même les bonnes fées n'ont pas recours à leurs ressources personnelles, mais à un pouvoir magique qui leur a été conféré et qui est positif sans raison logique, de même qu'il est malfaisant chez les sorcières. Un personnage féminin doué de qualités humaines altruistes, qui choisit son comportement courageusement en toute lucidité, n'existe pas. La force émotive avec laquelle les enfants s'identifient à ces personnages confère à ces derniers un grand pouvoir de suggestion, qui se trouve renforcé par d'innombrables messages sociaux tout à fait cohérents. S'il s'agissait de mythes isolés survivant dans une culture qui s'en détache, leur influence serait négligeable, mais la culture est au contraire imprégnée des mêmes valeurs que ces histoires transmettent, même si ces valeurs sont affaiblies et atténuées.

Elena Gianini Belotti, « Du côté des petites filles », Edition des Femmes, 1974.


TRAVAIL A FAIRE

1) Lisez en surlignant les passages importants chaque document. Résumez en quelques phrases l'information principale de chacun.

2) Rédigez une petite synthèse (15-20 lignes minimum), reprenant les exemples les plus pertinents (= parlants) des différents documents qui précèdent afin d'expliquer (= montrer, faire comprendre) pourquoi les inégalités quant au partage sexué du travail existent et demeurent.

marjorie.galy@wanadoo.fr